le Villageois et le serpent de Jean de La Fontaine

le Villageois et le serpent de Jean de La Fontaine
Ésope conte qu'un manant, Charitable autant que peu sage, Un jour d'hiver se promenant À l'entour de son héritage, Aperçut un serpent sur la neige étendu, Transi, gelé, perclus, immobile rendu, N'ayant pas à vivre un quart d'heure. Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure, Et sans considérer quel sera le loyer D'une action de ce mérite, Il l'étend le long du foyer, Le réchauffe, le ressuscite. L'animal engourdi sent à peine le chaud, Que l'âme lui revient avecque la colère. Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt, Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père. Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire ? Tu mourras. À ces mots, plein d'un juste courroux, Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête, Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue, et la tête. L'insecte sautillant cherche à se réunir, Mais il ne put y parvenir. Il est bon d'être charitable Mais envers qui ? c'est là le point. Quant aux ingrats, il n'en est point Qui ne meure enfin misérable.

Inspirée du « Laboureur et le serpent » d'Ésope, cette fable de Jean de La Fontaine modifie la chute originelle. Alors qu'Ésope faisait périr son laboureur, victime de sa trop grande bienveillance, La Fontaine inverse les rôles et axe sa fable sur l'ingratitude de la bête. Le fabuliste reprend le même thème dans sa fable « l'Homme et la couleuvre ».

Gustave Doré, illustration des Fables, édition de 1867.
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